jeudi 28 mai 2009

La démarche suicidaire de Kim Jong-il / Le Point / 2009-05-25

La grande différence entre l'essai nucléaire auquel les Nord-Coréens ont procédé durant la nuit , et celui qui l'avait précédé, le 9 octobre 2006, c'est que cette fois, il n'y a plus de place pour le doute : c'est bien d'un essai réussi dont il s'agit, et non d'un semi-échec, voire même d'un tir conventionnel de centaines de tonnes d'explosifs classiques ! Car les experts étrangers étaient encore incapables, ces derniers mois, de préciser la nature exacte de l'essai de 2006, et même s'il s'était réellement agi d'un tir atomique. La Corée du Nord confirme du coup son statut de problème majeur pour la communauté internationale tout entière , mais surtout pour ses voisins les plus menacés, au premier rang desquels la Corée du Sud et le Japon.

Le nucléaire répond depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui a vu se produire les deux seuls tirs opérationnels de l'histoire contre les villes japonaises d'Hiroshima et de Nagasaki, à une problématique assez simple : cette arme n'est plus aujourd'hui, de facto, utilisable par son détenteur que contre un pays qui la possède également. Elle introduit une forme de rationalité perverse : si tu t'en sers contre moi qui la possède, je te pulvérise en retour. C'est tout le concept de la dissuasion, qui prévaut, par exemple, entre l'Inde et le Pakistan, et qui a fonctionné duré toute la guerre froide entre les États-Unis et l'URSS. Toute chose étant égale par ailleurs, et au-delà des discours provocateurs de son président, c'est à cette position qu'aspire aujourd'hui l'Iran. Posséder l'arme nucléaire ne lui permettrait évidemment pas de s'en servir, sauf à courir à sa propre destruction dans les minutes suivant un tir. C'est ce que l'on a parfois appelé la "fonction égalisatrice de l'atome".

Kim Jong-il, un tyran au bout du rouleau

De ce point de vue, dès lors que même ses possesseurs accessibles à un raisonnement logique ne peuvent que s'interdire de l'utiliser, le discours de la dissuasion possède une certaine cohérence. Le chercheur Bruno Tertrais, de la Fondation pour la recherche stratégique, a produit un très intéressant document sur le sujet, intitulé La Logique de dissuasion est-elle universelle ? . Nous en avions fait une analyse le 16 janvier lors de sa publication. A propos du dirigeant de la Corée du Nord, il écrit : "Le cas des dirigeants appelés à gouverner du seul fait de leur lignée est une exception, mais ils contrôlent rarement d'emblée les leviers de pouvoir : Kim Jong-il a dû agir rationnellement pour consolider son leadership au sein de l'appareil nord-coréen." Sans doute, mais cette apparente capacité à procéder de manière raisonnée pour asseoir son pouvoir signifie-t-elle qu'il en serait de même avant de recourir à l'arme suprême ? Bruno Tertrais rappelle également qu'en 1996, le même Kim Jong-il déclarait qu'il suffirait de 30 % de la population nord-coréenne "pour reconstruire une société victorieuse". En clair : vous pouvez bien tenter de nous raser, notre régime survivra ! Est-ce le discours d'un dirigeant sensé ? Non...

Clairement, cet homme-là n'est pas accessible à un discours de raison. Saignant son peuple à blanc, l'affamant pour que survive la caste des dirigeants, sans doute atteint d'un mal profond que ses récents accidents de santé ont aggravé, Kim Jong-il est un boutefeu qui joue avec les six pays engagés dans les négociations nucléaires avec lui. Sa démarche est suicidaire, et il y a chez lui quelque chose qui ressemble à une forme d'"après moi, le déluge !". Les menaces de sanction n'y feront rien, l'appel au cartésianisme non plus, et encore moins les "attention, ou on va se fâcher !", que l'on entend à Paris.

C'est tout le défi que constitue cet acte délirant d'un tyran au bout du rouleau. Toutes les tentatives pour négocier n'ont abouti à rien, les accords pour conduire la Corée du Nord à une attitude moins provocatrice et plus constructive non plus, et on en vient à penser qu'il faudrait davantage avoir recours aux psychiatres qu'aux diplomates pour comprendre ce problème... ce qui ne voudrait pas dire qu'il serait soluble ! Pour tous les dirigeants du monde, une seule question se pose aujourd'hui : que faire ?