mercredi 1 avril 2009

Frappée par la récession, la Corée du Sud veut maintenir la cohésion sociale / Le Monde / 2009-04-02

SÉOUL ENVOYÉ SPÉCIAL

Selon l'Institut pour le développement de la Corée, organisme gouvernemental, la treizième économie de la planète a touché le fond de la récession. Mais les économistes sont partagés sur la reprise dans un pays où les exportations représentent 70 % du produit intérieur brut (PIB) frappé de plein fouet par la contraction de la demande mondiale. S'agit-il d'une crise en "V" avec un redressement aussi rapide que fut la chute, en "U" supposant une période de stagnation, ou en "L" si celle-ci se prolonge ?

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Ce flottement chez les experts n'apaise guère l'opinion. Le coût social n'a fait que commencer à se faire sentir. Et beaucoup cherchent un espoir ailleurs. Une des rares activités commerciales à profiter de la crise est celle des Cafés des Quatre Axes. Atmosphère feutrée et musique planante, ces cafés sont les "salons" où des devins (hommes ou femmes) en costume traditionnel prédisent l'avenir à partir de la date de naissance, de la forme du visage ou des lignes de la main. Plus de 300 000 personnes exercent dans ce pays à longue tradition chamaniste où les pratiques magiques ont conservé leur place en dépit de la modernisation. Pendant la crise asiatique de 1997-1998, ils n'avaient pas chômé.

La Corée est à nouveau durement touchée. C'est le pays du G20 dont PIB a le plus fortement reculé : 5,6 % au quatrième trimestre 2008 (21 % en base annuelle). Certes, l'économie locale est solide. Les grands groupes ne sont plus affaiblis par un surendettement structurel ; les banques n'ont pas été renflouées par l'Etat ; le pays est plus riche (avec un revenu par tête de 20 000 dollars). Comme Séoul a renoncé à défendre sa monnaie, ses réserves de changes, substantielles, s'élèvent à 200 milliards de dollars (150 milliards d'euros).

Chantre du libre-échangisme, la Corée ne peut espérer une sortie de crise que grâce aux exportations. Elle pourrait profiter de la faiblesse de sa monnaie (depuis l'été 2008, le won a perdu 35 % de sa valeur par rapport au dollar et à l'euro) pour pénétrer des secteurs haut de gamme de marchés - tel que l'automobile -, où elle n'a pas encore fait de percée.

"LA GRANDE INCONNUE"

S'il y a encore peu de signes visibles de crise sociale, celle-ci n'en est pas moins anticipée par le gouvernement. Il vient de faire adopter un budget supplémentaire de 28 000 milliards de wons (15,4 milliards d'euros) destiné à créer des emplois et à apporter une aide aux plus défavorisés. C'est la première fois que la Corée met en place des transferts sociaux d'un tel montant. Et les inégalités sont désormais profondes. "La grande inconnue des mois à venir est la manière dont les gens vont réagir", juge le sociologue Kim Yong-hak.

L'effondrement de la production affecte durement les salariés en contrat à durée déterminée et les précaires - plus de la moitié du salariat -, mal ou non protégés par les "filets sociaux". Depuis l'été 2008, près d'un million d'emplois ont disparu. En février, 142 000 personnes ont été "remerciées". "Des risques de tension sociale se profilent dans la seconde partie de l'année, estime l'économiste Kim Chong-in. C'est pourquoi le gouvernement ne procède pas aux restructurations qui s'imposeraient par exemple dans l'automobile."

Pour l'instant, les Coréens serrent les rangs. A la suite d'un "sommet social" en janvier, Séoul a imposé le principe d'un partage du travail en diminuant les salaires et les heures supplémentaires pour conserver des emplois.

Pour la Confédération coréenne des syndicats (KCTU), la plus combative, les entreprises profitent de la crise pour réduire les salaires. "Le partage du travail est un palliatif, estime Jung Gab-deuk, président de la Fédération des métallurgistes, membre de la KCTU. Il faudrait enrayer l'extension du travail précaire en réduisant la durée annuelle du travail : 2 261 heures, soit plus de 200 heures de plus que la moyenne dans les pays de l'organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Le taux de chômage officiel (3,9 %) ne signifie rien. Plus de 3 millions de personnes sont sans travail ou en situation de sous-emploi." En dépit de la fermeté du discours, la KCTU reste circonspecte : des mouvements de grève risquant en effet d'être perçus par l'opinion comme des facteurs aggravant la crise.

Philippe Pons
Article paru dans l'édition du 02.04.09.