mercredi 1 avril 2009

Le cinéma a la gueule de bois / Courrier International / 2009-03-31

CORÉE DU SUD • Le cinéma a la gueule de bois
Après avoir joui d'une remarquable santé au cours des dernières années, le septième art coréen traverse à présent une crise. Principale raison de cette situation, l'accent mis sur les productions commerciales au détriment des œuvres de création.

Au cours d'un récent voyage au Japon, j'ai appris que Bae Yong-jun [acteur coréen très populaire dans ce pays] faisait vivre à lui seul plusieurs entreprises. Il aurait même contribué à l'amélioration des relations entre les Coréens et les Japonais ! Mais, en tant qu'économiste, je ne peux m'empêcher de penser que la "vague coréenne" [depuis une dizaine d'années, la mode de la culture populaire sud-coréenne s'est répandue dans les autres pays asiatiques], dont il est un symbole, et ses conséquences n'ont pas eu que des effets bénéfiques pour le cinéma coréen.

La crise dans laquelle ce dernier semble s'enliser depuis quelque temps nous éloigne de l'espoir de voir naître un jour un réalisateur comme Im Kwon-taek ou un acteur comme Ahn Sung-ki. L'industrie, fascinée par sa propre croissance, n'a pas su se doter des infrastructures nécessaires. La place réservée à l'avant-garde a été considérablement réduite. A force de miser toujours plus pour gagner toujours plus, dopés qu'ils étaient par le phénomène de la vague coréenne, les milieux cinématographiques sont en train de se réveiller avec une gueule de bois particulièrement sévère. Je ne suis pas un partisan acharné des avant-gardistes qui rejettent tout film à caractère commercial. Je suis de ceux qui considèrent Le Seigneur des anneaux comme un événement cinématographique important et je me suis beaucoup intéressé à son mode de production.

Pour moi, la crise actuelle vient aussi d'en bas, dans un contexte où le réalisateur intervient à toutes les étapes, à commencer par le financement, et où chacun travaille dans la frustration, rêvant de passer un jour à la réalisation. Cette situation n'est pas propice à la naissance d'une organisation à la fois solide et souple, mais mène, au contraire, à l'uniformisation, à l'exploitation de la main-d'œuvre et à la pénurie de scénarios. Le bond qu'a effectué le cinéma coréen il y a quelques années aurait-il été un mirage résultant de la rencontre des "Hollywood Kids" d'un côté et du boom économique qui a suivi la crise des devises étrangères de l'autre ?
J'aimerais poser deux questions aux professionnels du cinéma. L'argent est-il vraiment tout ? Les plus fortunés d'entre eux répondent plus ou moins par l'affirmative. Mais ils préfèrent invoquer les nécessités de l'art quand il s'agit d'exploiter leurs collaborateurs. En effet, la plupart de ceux qui travaillent sur un plateau souffrent de précarité. Chacun d'entre eux navigue péniblement d'un projet à un autre. Cela ne concerne sans doute pas uniquement la Corée.

Ma deuxième question s'adresse plus particulièrement aux cinéastes : pensent-ils quelquefois à leur responsabilité sociale ? Certes, ils ont milité contre la distribution directe des films américains ou encore contre la réduction du screen quota, et je les ai soutenus. Je me rappelle par ailleurs avoir été impressionné par The City of Violence [Jjakpae], de Ryu Seung-wan, avoir été heureux en regardant Waikiki Brothers, de Lim Soon-rye, et Happy Life [Chulgoun insaeng], de Lee Joon-ik. Mais je suis plutôt sceptique quant à la question de savoir si le cinéma coréen actuel s'intéresse sérieusement aux problèmes sociaux. De nombreux cinéastes citent Hollywood comme leur premier ennemi, ce royaume capitaliste, le cœur culturel du monde impérialiste. Mais il me semble que même ces films américains ne sont pas aussi asociaux que les films coréens. Surtout, les cinéastes hollywoodiens semblent moins enfermés que les nôtres dans leur tour d'ivoire.

Ne faudrait-il pas, par exemple, créer, dans les collèges et les lycées, des ciné-clubs auxquels les cinéastes apporteraient leur contribution ? Ne pourrait-on pas leur demander de participer davantage aux débats sur le septième art ? L'argent est la logique de cette société. Ni les sociologues ni les vedettes de la télévision ne sont capables de dialoguer avec nos adolescents fatigués par leurs cours particuliers et de réveiller leur âme d'artiste. Si Ryu Seung-wan, Bong Joon-ho ou Park Chan-wook acceptaient de participer à cette tâche, je leur en serais infiniment reconnaissant.

* Economiste, auteur de l'ouvrage Génération 880 000 wons.

U Sok-hun*
Sisa In