mercredi 15 avril 2009

Pas d'accord au Conseil de sécurité à propos de la Corée du Nord / Le Monde / 2009-04-06

New York, Tokyo, correspondants

Réuni d'urgence, dimanche 5 avril, le Conseil de sécurité des Nations unies a été dans l'incapacité de s'accorder sur une position commune en réponse au lancement, dans la matinée, d'une fusée par la Corée du Nord. Les quinze membres n'ont même pas pu s'entendre sur une déclaration non contraignante exprimant leur "préoccupation".

Les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni estiment que ce tir est une violation de la résolution 1718, adoptée par le Conseil de sécurité en octobre 2006 à la suite de l'essai nucléaire nord-coréen. Le texte juridiquement contraignant exigeait que Pyongyang s'abstienne de "tout essai nucléaire et de tirs balistiques".

La Chine et la Russie ont défendu le droit de tout pays à un programme spatial pacifique et font valoir que la République populaire démocratique de Corée (RPDC) a suivi la procédure de notification aux agences internationales aérienne et maritime de la mise sur orbite d'un satellite. "Le droit à l'utilisation pacifique de l'espace", invoqué par la Russie, est également la position de la Libye et du Vietnam.

Etant donné la similitude des technologies de propulsion d'un lanceur et d'un missile, les Etats-Unis et leurs alliés asiatiques et européens considèrent que la violation est la même quel qu'ait été l'engin. "Nous pensons qu'une telle action mérite une réponse forte et claire", a déclaré l'ambassadeur des Etats-Unis à l'ONU, Susan Rice.

APPLIQUER LA RÉSOLUTION D'OCTOBRE 2006

Lancée dimanche matin à 11 h 20 du pas de tir de Musudan-ri (sur la côte nord-est de la RPDC), la fusée Enha-2 a mis sur orbite, neuf minutes plus tard, un satellite de communication, a annoncé l'agence de presse nord-coréenne KCNA. Mais les détecteurs américains n'ont trouvé aucune trace d'un nouveau satellite dans l'espace. D'où l'interrogation : soit la mise en orbite a été ratée – le satellite est tombé dans le Pacifique; soit il s'agissait d'un essai déguisé de missile balistique Taepodong-2.

Conscients qu'il sera difficile de faire accepter à la Chine et à la Russie de nouvelles sanctions, les pays occidentaux voudraient mettre en œuvre celles déjà prévues par la résolution 1718 mais qui n'ont jamais été appliquées faute du soutien de Moscou et de Pékin.

Le Japon, qui a déposé la demande de réunion d'urgence du Conseil de sécurité, est le plus en pointe pour exiger des sanctions. C'est la seconde fois – après le tir d'un Taepodong-1 en août 1998 – que son territoire est survolé. Ces dernières semaines, l'archipel avait été placé en état d'alerte avec déploiement de navire de guerre et de batteries antimissiles.

Le premier ministre, Taro Aso, avait annoncé l'interception du missile puis le ministre de la défense avait donné l'ordre de détruire les débris de l'engin. Un branle-bas de combat qui avait suscité une appréhension dans la population, accentuée samedi par deux fausses annonces, à trois heures d'intervalle, par les autorités militaires nippones, du lancement du missile, qui n'a eu lieu en fait que le lendemain… Tokyo n'a finalement rien fait pour intercepter l'engin ou ses débris après que Washington a annoncé n'envisager aucune intervention militaire.

Le "militantisme" japonais s'explique par des considérations diplomatiques et politiques. Animé de l'ambition de devenir membre permanent du Conseil de sécurité, Tokyo s'emploie à accroître sa stature internationale. Comme son prédécesseur Shinzo Abe, le premier ministre Taro Aso doit une partie de sa popularité (aujourd'hui bien entamée) à sa détermination face à la Corée du Nord. Le sort de la quinzaine de Japonais enlevés par les agents nord-coréens dans les années 1970-1980 émeut toujours l'opinion.

"L'INTÉRÊT À LONG TERME EST LA REPRISE DES NÉGOCIATIONS AVEC PYONGYANG"

Ministre des affaires étrangères en 2006, M. Aso avait été à l'origine d'une première résolution du Conseil de sécurité, en juillet, exigeant la suspension du programme de missiles à la suite de sept tirs d'essai par Pyongyang. Puis en octobre de la même année, le Conseil de sécurité avait adopté la résolution1718 ajoutant aux tirs de missiles l'interdiction des essais nucléaires.

Le Japon prit alors des sanctions économiques et financières à l'égard de la RPDC. Il envisage cette fois la suspension de tous leurs échanges. Etant donné la chute du commerce entre les deux pays, ces mesures n'auront guère d'effet.

Des voix se font aussi entendre pour replacer ce tir dans un contexte plus large. C'est le cas de l'ambassadeur Stephen Bosworth, chargé par l'administration Obama des négociations avec le RPDC, qui a rappelé que "le problème à court terme [du tir] ne doit pas faire perdre de vue l'intérêt à long terme de toutes les parties concernées, qui est la reprise des négociations avec Pyongyang".

"L'important désormais, c'est l'efficacité, au-delà de la question de savoir s'il faut adopter une attitude souple ou ferme vis-à-vis de Pyongyang", estime pour sa part Ken Quinones, ancien haut fonctionnaire du département d'Etat américain, qui a une longue expérience de négociation avec la RPDC sous l'administration Clinton.

Philippe Bolopion et Philippe Pons