lundi 26 janvier 2009

Un rêve de réunification - Courrier International / 2009-01-06

Un peintre et un musicien qui ont fui la Corée du Nord, sans toutefois renier leurs origines, rêvent de contribuer par leurs arts à la réunification intercoréenne, relate le Weekly Kyunghyang.

La première vague de réfugiés nord-coréens en Corée du Sud a commencé en 1998. Leur nombre atteint aujourd'hui quelque 14 000. Ils sont chaque année de plus en plus nombreux à demander asile à ce pays où ils réussissent à arriver au péril de leur vie, mais leur nouvelle existence n'est pas toujours facile, notamment à cause du regard biaisé des gens du Sud.
Son Mu, 36 ans, est artiste peintre ; Kim Chol-ung, 34 ans, est pianiste. Originaires du Nord, les deux hommes ont beaucoup de points communs. Ils ont réussi à se faire un nom dans les milieux artistiques de Corée du Sud, où ils jouent aussi le rôle d'initiateurs à la culture nord-coréenne auprès de la population locale. Chacun d'eux utilise un pseudonyme afin de ne pas compromettre la sécurité de sa famille restée au Nord. Son Mu, surtout, refuse d'être photographié, ce qui lui vaut d'être surnommé le "peintre sans visage". Son père, un médecin, et sa mère vivent de l'autre côté du 38e parallèle. Il a traversé le fleuve Tuman [Tumen en chinois] en 1998, et, après avoir erré trois ans en Chine, il est arrivé en Corée du Sud.

Né d'un père haut fonctionnaire et d'une mère universitaire, le pianiste Kim Chol-ung a quant à lui bénéficié de l'éducation réservée à l'élite nord-coréenne, avant de poursuivre sa formation au conservatoire Tchaïkovski, à Moscou. Il a été premier pianiste de l'Orchestre national de Pyongyang jusqu'en 2001, date à laquelle il a fui le pays. Arrêté en Chine, il a été renvoyé chez lui où il était sur le point d'être exécuté (considéré comme un criminel politique du fait de son statut d'intellectuel, il risquait une peine plus lourde que ceux que la faim pousse à passer la frontière), mais, sauvé in extremis, il a pu gagner la Corée du Sud. Le 18 avril 2009 prochain, il donnera un concert au Carnegie Hall, la célèbre salle new-yorkaise.

Sont-ils satisfaits de leur vie en Corée du Sud ? La réponse est mitigée. Chacun, pour des raisons qui lui sont propres, ne s'y sent pas complètement libre. Son Mu a récemment connu une mésaventure : une de ses œuvres retenues pour la biennale de Pusan a été décrochée du mur la veille de l'ouverture. Il s'agissait en fait d'un portrait de Kim Il-sung [père de Kim Jong-il, le "Grand Leader" de la Corée du Nord, décédé en 1994], que les organisateurs ont préféré retirer pour éviter d'éventuels ennuis. "L'an dernier, quand j'ai organisé une exposition personnelle, j'ai été interpellé par la police pour avoir accroché un portrait de Kim Jong-il. Mais je ne pensais pas avoir le même genre de problème lors d'un événement international. D'autant que mes tableaux disent justement que Kim Il-sung n'était pas le soleil de la Corée ! J'ai réalisé à cette occasion que le Sud avait aussi son idéologie et que la liberté d'expression n'y était pas totale."

Kim Chol-ung pointe du doigt des mauvaises pratiques des Sud-Coréens qu'il juge regrettables : "Les professeurs de musique exigent de leurs disciples qu'ils les imitent. Il suffit d'écouter le jeu d'un élève pour deviner qui est son maître ! Quant à moi, je dois faire plus d'efforts que les autres si je ne veux pas être méprisé à cause de mon origine nordiste."

Tous deux déclarent qu'ils ne veulent pas être jugés selon des critères politiques. Son Mu entend souvent dire : "Pourquoi vous attachez-vous à votre passé nord-coréen ? Passez à autre chose !" Mais il ne veut pas renier ce qui constitue son identité. "C'est ma vie en Corée du Nord qui a fait de moi ce que je suis aujourd'hui. Il est difficile dans ces conditions d'ignorer Kim Il-sung et Kim Jong-il, quelles que soient mes opinions à leur sujet. Je fais de l'art, c'est tout." Ses tableaux sont en effet loin de constituer un éloge des deux dictateurs. Un d'eux représente de trois quarts l'actuel dirigeant nord-coréen, tout sourire dans un survêtement de marques Nike et Adidas d'un rose inquiétant. Par dérision, il peint souvent avec des couleurs gaies la morosité et la crainte qui règnent dans la société nord-coréenne. Son art va probablement contribuer à rapprocher les Coréens des deux bords. De son côté, Kim, qui est aussi compositeur, rêve de contribuer à faire avancer la réunification : "Je créerai une musique qui parle aussi bien aux gens du Sud qu'à ceux du Nord."